Un projet de marche urbaine en collaboration avec RECYCLART et suivi par Thierry Davila.
Cyril Bron et David Fuehrer vont suivre un itinéraire qu’ils ne pourront jamais emprunter. Ils marcheront au plus près du Ring de Bruxelles. Zones sans trottoirs, ils inventeront un tracé entre glissières et forêts, barrières et talus, ponts et tunnels. Ces différents franchissements vont ouvrir l’espace sur des paysages inattendus.
Ils seront équipés d’une caméra qui transmettra en direct un flux d’images et de sons diffusé au Recyclart à Bruxelles.
Il s’agit de questionner l’autoroute qui apparait comme une métaphore de notre époque.
Par le dispositif de production d’images et de sons, le spectateur est confronté à une télé-présence, proximité lointaine, anonyme et artificielle. Artistes et spectateurs éprouvent l’étrangeté d’une expérience qui mêle à la fois les résidus urbains et la technologie, les laissés pour compte et des propriétés sous haute protection.
Cyril et David vous invite à venir les rejoindre pour dessiner avec eux un chemin éphémère, partager un repas ou une soirée.
Walking
a Metaphor
by cyril bron &
david fuehrer
“Malgré la couverture satellite permanente et le
maillage des caméras de surveillance, nous ne
connaissons rien du monde” (Philippe Vasset)
Nous venons de terminer un film, « nos reflets »
qui d’une certaine manière tend à refléter quelque
chose d’une société à partir de ceux qu’elle a
exclus. En dessinant les marges, ne voit-on pas apparaître ce
qu’elles contiennent ? Avec « nos reflets », nous avons travaillé
avec des personnes aux destins liés à la toxicomanie. S’il
s’agissait avant tout de rendre visible le parcours de ces
personnes au travers d’autoportraits, nous avons ponctué le film
en nous mettant nous aussi en scène, dans une salle de bain, une
caméra à la place du miroir, sorte de témoin de nos
questionnements :
-au fond, t’es qui ?
-au fond.
Ainsi se termine le film, indiquant que quelque chose, quelque
part, nous échappe radicalement.
« nos reflets » a été tourné dans la marge, avec des gens à
l’écart de la société et en périphérie d’un certain cinéma
documentaire. Cette marginalité s’est imposée à nous comme
l’expérience d’une étrangeté : signe que quelque chose se dérobe,
comme la perception d’une expression qui nous échappe face à la
caméra ou à l’écoute de de notre voix enregistrée. L’étrangeté
signifie une forme d’inaccessibilité qui questionne nos
représentations de la normalité, de nous-mêmes et au delà, en
modifie l’expérience.
Cette étrangeté interroge de manière profonde notre identité car
« ici » il n’ y a plus toutes les couches de l’appartenance
sociale, tout ce qui nous permet de nous mettre en scène dans la
vie quotidienne. Nous sommes alors traversé par une contreexpérience,
non pas une expérience dont « je suis l’auteur », mais
une expérience qui nous arrive. Alors quelque chose de nous-mêmes
nous échappe: nous faisons l’expérience d’une non-coïncidence au
coeur de soi. « L’étranger ne recouvre pas exactement l’altérité
d’autrui ; il s’étend donc aussi au corps propre, aux formes de
l’art et à la nature » (Waldenfels, Topographie de l’étranger p.
11).
Après « nos reflets », nous voulions poursuivre cette expérience,
nous laisser rencontrer, affecter à nouveau par cet excès
d’étrangeté : étonnement, curiosité, frayeurs, blessure et
fatigue. Nous cherchions à côtoyer quelque chose sur lequel nous
n’aurions pas de prise, dont l’accès supposerait la suspension de
nos connaissances, de nos itinéraires, de nos représentations.
Origines
1
Partageant une bière dans un bar de Bruxelles,
après une semaine semée d’incertitudes et de
remises en questions, une idée soudaine nous
presse : parcourir la ville hors des circuits
balisés, transgresser les parcours définit par le
fonctionnement urbain et la rationalité. Si la
rationalisation conditionne les déplacements, elle
conditionne aussi la manière de penser, et nos modes de
consommation. Nous voulons justement sortir de ce que nous
imposent les déplacements quotidiens, insuffler de la poésie dans
notre mouvement et affirmer notre subjectivité comme une
réinvention et une redécouverte de l’environnement urbain. Mais
l’expression de la subjectivité est en réponse à un espace, elle
commence ailleurs et avant nous, elle nous précède, et nous
l’excédons dans la réponse. Dans cette faille temporelle, dans cet
interstice incertaine, ce sont les zones urbaines qui vont
littéralement nous traverser.
Notre outil de travail sera la dérive, celle des situationnistes :
“le passage hâtif à travers des ambiances variées” (Guy Debord,
Théorie de la dérive). Celle-ci nous permettra de naviguer sur les
eaux inconnues de la ville, de nous laisser porter par les
courants et les ressacs.
Nous avons parlé de « London Orbital » de Ian Sinclair. Dans ce
texte, dont le titre résume le programme, Sinclair tourne autour
de Londres en marchant le long du périphérique M25, qui ceint la
capitale britannique. Il est parfois seul, parfois accompagné de
plasticiens ou de musiciens (Bill Drummond, du groupe d’acid house
KLF). Il décrit les parkings, les stations-service, les
supermarchés et les banlieues-dortoirs, mais aussi les champs et
les décharges, cherchant les traces de présences disparues et de
cultes anciens, de lieux qui ouvrent sur d’autres lieux. “Sinclair
propose sa propre version de la psychogéographie, dans laquelle le
vagabond urbain, l’historien local, l’activiste d’avant-garde et
le polémiste politique se rencontrent et se fondent.” (Merlin
Coverley P.150)
Marcher en orbite autour de la ville… La métaphore appelait à être
parcourue tant avec les mots qu’avec nos pas et la poétique de la
marge et des détours initiée dans « nos reflets » ne demandait
qu’à s’y déployer. Comme la lune, les stations des agences
spatiales et autres débris en gravitation autour de la terre ; il
serait question pour nous de devenir les satellites de la ville:
production d’images de zones insolites, vues à partir de la marge
et de la périphérie… Deux êtres satellisés autour d’un « astre
urbain » qui opère sur eux des forces d’attraction et les met en
mouvement.
Nous sommes irrésistiblement lancés sur une trajectoire
métaphorique. Nous allons nous retrouver dans des impasses,
Métaphore
2
des impossibilités d’avancer et parfois nous perdre. « Dans « se
perdre » il y a la possibilité que l’espace domine le
sujet » (Fransesco Careri). Nous voulons éprouver l’urbanisme dans
sa matérialité brute. Nous allons parcourir à pied tous ces
endroits dédiés à la voiture, à la vitesse et au trafic: aéroport,